L’histoire se répétait étrangement, avait-ELLE songé en s’installant dans un transat, chez Mary. ELLE m’observait, chaton maigre mais redevenu soyeux, qui se faisait rôtir au soleil en miaulant, et les souvenirs remontaient.
ELLE devait avoir dix ou onze ans. La famille venait d’emménager à Paris, où son père avait été muté. À Toulon, ELLE avait déjà réussi à convaincre sa famille de vivre avec quelques animaux. Ils avaient refusé chiens et chats mais accepté des tortues de terre et de mer, des hamsters, des poissons rouges qui frétillaient et glissaient des mains quand on changeait l’eau de leur bocal, et des poussins. Une multitude de poussins jaunes, qui piaillaient avec un certain brio. Dans le jardin de ses grands-parents paternels, ELLE croisait des poules et des coqs amusants, mais jamais de poussins. Dans la forêt du Dom, qu’il fallait traverser avant d’arriver dans la maison de son papy et de sa mamy, ELLE savait qu’il existait une faune et une flore rare et ELLE était persuadée d’avoir croisé un faon, un jour, son animal préféré depuis Bambi. À Toulon, sa mère suivait la mode et la mode d’alors, c’étaient les vêtements en peau de chèvre. Gilet moutonneux, blouses amples à pompons sur jean’s patte d’eph’, et sabots en bois et peau de chèvre, avec des poils courts qui faisaient l’effet d’une barbe fraîchement rasée quand on passait la main. Les poussins avaient trouvé leur refuge : sur les sabots. C’était attendrissant, ça la faisait goleri. Parfois, ils venaient picorer ses petits pieds nus, ça la faisait sursauter. Un poussin, ça grandissait drôlement vite ! ELLE aimait aussi observer les lézards et leur marcher sur la queue qui repoussait aussitôt. Les lézards n’étaient pas farouches, ils venaient jouer avec ELLE sur la terrasse de leur appartement, sous le soleil.
À Paris un jour, un dimanche après-midi, son père et ELLE étaient partis se promener le long des berges de la Seine et soudain, ils avaient aperçu un chaton blanc qui paraissait perdu. ELLE l’avait attrapé et son père avait proposé de le ramener à la maison. Sa mère n’avait pas voulu : Pas de chats ici. Qui va s’en occuper ? C’est toujours la même histoire dans bien des familles. On adopte un animal tout mignon tout beau, les prunelles s’accrochent les unes aux autres, c’est irrésistible. Très vite pourtant, plus personne n’est plus jamais disponible pour l’animal, à part la mère. Qui déjà s’occupe de tout. C’est une histoire universelle. Qui évolue ces dernières années. Ce qui demeure inchangé en revanche, c’est la maltraitance et l’indifférence animale. Même si les lois encadrent davantage le bien-être et la protection des animaux. Cette année, en 2021, une loi impose un certificat qui identifie l’animal qu’on adopte. D’autres concernent les conditions d’élevage. Pour les animaux domestiques, dont mes congénères et moi, on est les figures de proue, le statut juridique d’être vivant doté de sensibilité fait désormais autorité. Fin 70′ et jusqu’en 2015, on avait encore le statut d’objet, catégorie bien meuble. Ça me hérisse le poil !
ELLE et son père étaient redescendus déposer le chat sur son mur. Qui sait : peut-être habitait-il une de ces péniches sur la Seine, ou vivait-il une existence de prédateur, traquant les rats des villes ? Il n’avait l’air ni craintif, ni triste, ni sur la défensive. Quoiqu’il en soit, quelques jours plus tard son parrain du bout du monde, du même bout du monde que moi (le destin, pas vrai !), avait appelé : On a sauvé un chien de maltraitance, j’ai pensé à vous pour l’adopter. Vous venez le chercher ? Tout s’est passé si vite, que personne n’a vraiment réfléchi. À Brest, ses parents et ELLE ont fait la connaissance d’un caniche nain, roux, tout fou et pétri d’amour. Il sautait, léchait, aboyait de joie. ELLE avait écouté les conversations et compris que son maître était un marin cruel, qui jetait son chien du bateau de pêche au canot et le battait. Le chien avait été opéré, il avait des broches dans les pattes. Il s’appelait Oscar, comme Oscar Goldman, dans l’Homme qui valait trois milliards. Justement : ce chien, c’était trois milliards de dose d’un amour organique et bionique. ELLE l’a adoré son chien. ELLE aimait le sortir parce qu’un chien qu’on promène est un extraordinaire vecteur de lien social et, pour draguer les garçons, c’est imparable ! Tous les deux jouaient pas mal. ELLE a grandi, bien sûr et le chien a vieilli. Il a fini par devenir aveugle, un peu sourd aussi, la démarche brinquebalante, mais il jouait et aimait toujours. Il continuait d’apprécier les carottes râpées, les fruits, les esquimaux glacés à la fraise et au chocolat, et ses croquettes. Parfois il se cognait dans les meubles, il ratait bien souvent son coup, s ‘élançant en quête de caresses sur le canapé, mais il recommençait. ELLE a déménagé et est partie vivre ailleurs, à l’âge où l’on s’émancipe. Un jour, ELLE est revenue. Ça faisait 17 ans que la famille vivait avec Oscar, dont personne n’ignorait la fin proche. ELLE se souvient s’être allongée sur une banquette, à lire, étendue sur le côté, sa tête supportée par son bras et sa main gauche. Oscar a sauté et a patouné les couvertures pour se lover en boule dans le creux de ses genoux, après lui avoir prodigué plein de léchouilles. Le lendemain, Oscar suffoquait. Ses parents se sont rendus chez le vétérinaire. C’était terminé. Quelques mois plus tard, ELLE s’installait dans son premier appartement, au troisième étage de l’immeuble dont, au rez-de-chaussée, le cabinet vétérinaire était installé, celui où Oscar avait été piqué. Encore plus tard, quand elle me ramènerait à Paris, ELLE choisirait ce cabinet vétérinaire-là, bien qu’elle n’habitât plus dans l’immeuble. C’est là que je serais tatouée, stérilisée, vaccinée. C’était ça, la vie. Des histoires de rencontres, et de transmission, pour apprendre le métier de vivre. Pour apprendre l’animal-humanisation.
Quand elle m’a vu, sa meilleure amie Nathalie lui a dit : Tu vas voir, tu vas devenir cat addict… Je le sens. Sa p’tite tête triangle, ses yeux, deux minuscules fentes trop mignonnes. C’est drôle quand même, tu te souviens ? Quand on s’est rencontrées, tu n’aimais pas les chats, tu en avais peur, tu disais qu’ils étaient fourbes, qu’on ne pouvait jamais prévoir leurs réactions, savoir ce qu’ils pensaient. Quand tu venais à la maison, tu me demandais de faire sortir mes chats. Pourtant, souviens-toi, quand tu restais dormir, tu te réveillais toujours avec un chat sur toi et un autre sur ton visage, à ronronner de plaisir.
Maintenant, c’était ELLE qui apprenait à ronronner et miauler de plaisir, en ma compagnie…
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