De Brest à Paris ! (#1)

De Brest à Paris

Ça a commencé par le voyage en train, de Brest à Paris. Nos #chatventures. ELLE avait dû modifier son horaire la veille pour une raison quelconque. Tout en payant, ELLE avait parlé de moi à l’hôtesse, sans se douter. ELLE devait m’acheter un billet de train pour animaux et le composter comme le sien. Il ne restait plus qu’une place en première classe et ELLE avait accepté.

Le jour du départ, son amie Mary l’avait aidée : elle avait rangé les provisions achetées chez le vétérinaire. Le sac de litière et les croquettes dans une maison, ma maison, à poignée, et avait soigneusement scotché l’ensemble. Elle avait préparé une gamelle rétractable comme un jouet, qui se rangeait dans une poche, et une petite bouteille d’eau. Elle avait disposé des journaux et des serviettes dans ma valisette au cas où je serais malade, où j’éprouverais un besoin fâcheux, et avait préconisé des caresses pour me réconforter. C’était l’inconnu, elle ne connaissait pas meilleure recette. Ça allait être long, cinq heures de train, de Brest à Paris. Je comprenais pourquoi mes rations avaient fondu depuis la veille. J’avais l’estomac creusé. Il n’y avait plus que de la bile en moi, un goût ocre et âpre qui me rendait nauséeuse.

Sa voiture était la dernière du TGV, tout au bout du quai. Loin. Il fallait marcher le long de vingt voitures unies les unes aux autres par leur nez aérien. J’étais encore ballotée, dans la valisette. La nausée m’avait soudain submergée. Juste après avoir vomi (étonnamment, bien davantage que de la bile), ELLE avait nettoyé ni vu ni connu et déposé dans une poubelle son paquet hermétique (ELLE avait tout prévu). 

Dans la voiture de TGV, il n’y avait presque personne, ça a été notre chance. Seuls trois hommes encostumés, sérieux. Presque austères. Ils avaient, à peine installés, déposé un ordinateur sur leur tablette.

Et ELLE. Pas maquillée, débraillée, en jean’s et santiags malgré la chaleur, son tee-shirt informe, sa queue de cheval bouclée qui virevoltait, à laquelle j’avais toujours envie de m’accrocher pour m’amuser. ELLE ressemblait à une enfant. C’était une femme déjà. Dans l’immensité de la voiture de train, ELLE paraissait chétive, comme je l’étais le jour où ELLE m’avait trouvée, presque désarçonnée. Nous formions un duo immature en apparence, deux petites sœurs égarées, dont l’aînée doit rester vigilante et rassurer sa cadette tout au long du trajet qui se profile. ELLE s’était déplacée et avait bientôt occupé l’emplacement pour handicapés, en accord avec le contrôleur. Il avait confirmé que personne n’avait réservé cette place-là, alors qu’ELLE s’y installe. C’était plus spacieux et confortable. D’un certain point de vue, c’était audible. Ni une trahison ni un mensonge, pas davantage une usurpation, puisque j’étais sourde. ELLE avait disposé ma valisette à ses pieds.

C’est après avoir dépassé le port du Moulin Blanc enluminé, et le premier arrêt à Morlaix, après le viaduc, que j’ai commencé à m’agiter. À me sentir déboussolée, ballottée, encellulée. Endiablée. Je tournais et retournais dans ma cage, l’impression d’être emmurée. Je visionnais des instantanés de la plage, cette étendue infinie où je pouvais être moi-même : large et sauvage comme l’était le vent, sur les rochers qui formaient des crapauds, des éléphants, ou dans les grottes le long des parois, glissant sur les algues mouillées, croquant au passage un minuscule crabe transparent crapahutant de biais, ou une crevette grise comme les flots par endroits, bondissant hors de l’eau. Je revoyais les falaises les anfractuosités, bordées d’ajoncs, les calvaires sur les routes. En moi, c’était jaune, une teinte resplendissante comme les mimosas, le long de la plage. Mais aussi aternie par la bile amère. Ça me soulevait le cœur. Je visionnais la mer d’Iroise remplie d’épaves, et plus loin, après les courants qui ne la réchauffaient jamais, l’Océan noir se mêlant à la Manche, et je repensais aux îles. Aux bancs de dauphins, aux colonies de morses, aux sternes et aux pélicans. J’entendais le cri des goélands, que je reconnaissais : vibrations à nulle autre pareilles. Avais-je vécu parmi cette faune et cette flore ? Navigué jusqu’à ces îles, contournant les phares en mer et les amers sur terre ? Je ne savais plus rien d’un seul coup, ainsi ballottée. Je tanguais, nostalgique. C’est alors que j’ai commencé à miauler, tout en rentrant mes oreilles dans mon cou, lui-même ramassé. Miauler. Miauler. Plus fort. D’une douloureuse et élégiaque mélancolie.

M’entendait-ELLE ? Pourquoi ne réagissait-ELLE pas ? Je miaulais toujours plus haut plus aigu plus strident, sans reprendre mon souffle. Je ne pouvais plus respirer, juste miauler. Miahurler, bouche ouverte à m’en décoller la mâchoire. Cela ne m’épuisait même pas. ELLE m’opposait une main qui fendait l’air et des paroles saugrenues, que j’interprétais sur ses lèvres : « Tais-toi, sois gentille ». Sa voix était fluette, peu convaincante, pas convaincue. ELLE se tortillait sur son fauteuil, ses yeux glissaient de moi aux messieurs, impatients. Une légère moustache de sueur maquillait sa lèvre supérieure. Un parfum de gêne se distillait à mesure que mes miaulements s’amplifiaient.

Soudain l’un des hommes se leva et, parvenu à notre rencontre, s’exclama, théâtral : « Croyez-vous que ce comportement soit digne d’une première classe de TGV, mademoiselle ? C’est insupportable. » ELLE avait rétorqué avec aplomb : « Cher Monsieur, préféreriez-vous que je jette mon chat par la fenêtre ? Un tel comportement serait-il plus digne de vôtre classe ? »

Je devenais l’intruse : une chatte fougueuse en première classe de TGV…

La suite ? bientôt, sur mon blog. En attendant, vous pouvez l’écouter…

#lanouvelleolympe Anna Isabekyan

#lanouvelleolympe

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