Son ami Michel est venu nous chercher, gare Montparnasse, après ce looooong voyage en train. Il nous attend, adossé à sa voiture. Ce monde à la gare Montparnasse, ce bruit ! Le chaos m’avale. La chaleur la fournaise s’abattent comme la foudre. Michel dit que l’épisode caniculaire sur Paris date de deux jours. Personne ne semble s’y habituer, s’en accommoder. C’est le réchauffement climatique. Il fait presque quarante-cinq degrés encore à cette heure, ça colle partout, le sol ondule comme dans un dessin animé, sauf que personne ne sourit ni ne pétule. Les gens sont débraillés, en sueur, et ça pestilentie, des relents insupportables de fermentation collective. Depuis ma valisette-cage qui, contre toute attente forme une protection, m’isolant de la cohue et du bouillonnement, je ne discerne que des pieds nus en tongs, gras de touffeur, rougis, même un peu noirs, des chevilles gonflées. Tout est fiévreux, caverneux. Je cherche la mer, mais je comprends que cet élément est désormais une image en moi, comme la couleur azur. Nous traversons la foule compacte.
Michel m’a dit bonjour comme s’il me connaissait, quoique étonné de me découvrir :
– C’est ton chat ?
– Oui, répond-ELLE, je l’ai trouvée abandonnée à la plage, et je l’ai ramenée.
– Mais… euh… comme ça ? s’enquiert-il.
– Une impulsion Michel, ça arrive, ça s’est imposé.
– Mais, insiste-t-il, tu vas savoir… je veux dire, tu le gardes ?
– Bien sûr, Michel ! C’est une petite chatte, je l’ai ramenée de Brest à Paris, c’est pas un doudou ! C’est une épopée sérieuse, elle et moi, ça t’étonne ?
– Oui, non, je ne sais pas, c’est que tu es tellement… indépendante, et imprévisible ! Enfin c’est inattendu, c’est tout… tu sais qu’ici à Paris, aucun taxi ne t’aurait ramenée avec un chat !
– Ah bon ?
– Les taxis refusent les chats, les animaux en général, ou alors il faut commander et préciser, une chance que j’aie été disponible ce soir !
– Je le saurai à l’avenir, j’anticiperai.
– Tu sais, moi j’ai un chat depuis… ouh… treize ou quatorze ans ! et quand j’ai été très malade, tu te souviens ? Eh bien, mon chat a été d’un précieux soutien, présent à la maison avec moi, je te préviens, un chat ça a besoin d’attention, de tendresse, de jouer aussi, en plus elle a l’air jeune ?
– La vétérinaire que j’ai vue en Bretagne, a évalué son âge à six mois environ, selon l’état de sa mâchoire, c’est le seul véritable indice.
– Elle a l’air en forme.
– Elle va très bien, il faut que je la fasse stériliser et vacciner, mais elle est en forme, regarde, elle est gentille, toute belle toute pure, on dirait une flaque de lait !
– Fais attention, ce n’est pas une peluche… bon pour le véto je vais t’écrire les coordonnées du mien, tu verras il est très bien, comportementaliste si tu as besoin, et puis il est breton, vous allez bien vous entendre… tu n’as pas de véto ici ?
– Ben non !
Dans sa voiture, Michel installe ma valisette sur la banquette arrière, de sorte que je la voie, ELLE, qui se retourne de temps en temps et glisse ses doigts à travers la grille pour me caresser la tête. Il m’enveloppe avec la ceinture de sécurité, comme il s’en serait sorti avec un enfant une fois disposé sur son siège bébé. Je lape ses ongles, ses phalanges. J’ai soif, il fait si chaud et humide, je suis épuisée, énervée, effrayée dans cette immensité grouillante et tumultueuse. Michel roule doucement. Il enclenche la climatisation. Peu à peu je ressens l’air s’attiédir et me laisse bercer par les ondoiements du véhicule. Avec un peu d’imagination, en fermant les yeux, je retrouve la Bretagne iodée.
Ici, à Paris, je sens que je vais être à l’étroit. Je murmure gueule fermée, avant de ronronner pour me rassurer, apprivoiser mon anxiété, bercée par sa silhouette fine et rassurante.
Aujourd’hui, plus d’une décennie s’est écoulée et Michel est mort. Un jour, comme ça. Il était assis dans un fauteuil et il s’en est allé. Et moi, j’y pense souvent, à Michel. C’est en partie grâce à lui, qu’ELLE a su m’apprivoiser et qu’ELLE a calqué ses horaires sur les miens.